samedi 14 septembre 2013

Histoire de Madrid aux XIIe et XIIIe siècles
Madrid aux XIIe et XIIIe siècles


Antonio de las Viñas, 1562

          A la fin du XIIe siècle, Madrid est alors une ville fortifiée, dont la forteresse – l’alcazar – flanqué au sud de la medina musulmane, protégée par les valons de l’Arenal au nord et du San Pedro au sud, domine depuis le IXe siècle à 50 m d’altitude la rive orientale du Manzanares, située en contrebas à quelques 600 m à l’ouest. La gravure ci-contre, très postérieure certes – réalisée en 1562 par Anton Van den Wyngaerde (Antonio de las Viñas) -, a le mérite de montrer l’escarpement où se situe la forteresse au-dessus du Manzanares. Plus à l’est, les pentes sont moins fortes et à 3 km l’altitude n’est encore que de 680 m contre 630 m pour la ville.

        La place sert pour les Maures de verrou, à 50 km au sud des cols de la Sierra de Guadarrama, bloquant la route du Manzanares. C'est aussi une forteresse de regroupement (ribat) pour les forces qui se concentrent avant un raid contre les chrétiens au nord des montagnes, vers Ségovie.


         Sur environ 300 km, le Système Central sépare la Meseta septentrionale  (Vieille Castille), qui correspond en gros au bassin du Duero, de la Meseta méridionale (Nouvelle Castille), liée au bassin du Tage. Ce Système Central, orienté sud-ouest/nord-est, est composé de trois chaînes, la Sierra de Gredos à l’ouest, la Sierra de Guadarrama au centre et la Sierra d'Ayllon à l’est.

     Au Xe siècle, ces chaînes servent de frontières entre le domaine chrétien au nord et le Royaume de Tolède au sud. Ainsi les Maures doivent-ils remonter les vallées des affluents de la rive droite du Tage pour atteindre les cols de la Sierra de Guadarrama, qui culmine à la Peñalara (2430 m). Ils peuvent longer le Jarama, qui se jette dans le Tage en aval d’Aranjuez, passer Talamanca et Uceda, atteindre le col de Somosierra (1444 m) à 150 km du Tage et de là parvenir jusqu’à Aranda de Duero à 70 km plus au nord. Un affluent de la rive droite du Jarama, la Lozoya, permet d’atteindre, plus à l’ouest, le col de Navafría (1748 m)
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         La vallée du Manzanares, un affluent de la rive droite du Jarama, à une trentaine de km d’Aranjuez, permet de parvenir jusqu’à Madrid à 25 km environ, puis au col de Navalcerrada (1860 m) à 80 km du Jarama. De là, Ségovie n’est qu’à 28 km.

        Enfin, en aval de Tolède, la vallée du Guadarrama conduit au col du même nom à une centaine de km plus au nord. De là, Ségovie n’est qu’à une quarantaine de km au nord-est et Avila à une soixantaine de km au nord-ouest. Plus au nord, au delà du Duero, c’est Valladolid.

        En somme, entre Aranjuez et Tolède, trois vallées permettent de remonter jusqu’aux cols de la Sierra de Guadarrama, celles du Jarama, du Manzanares et du Guadarrama pour atteindre Aranda, Ségovie ou Avila et le Duero.

Les chrétiens prennent la place en 932, puis en 1047







    Le roi Ramiro II de Léon (931-951) avait déjà pris Madrid, qui apparaît ainsi cité pour la première fois dans les textes chrétiens, comme les croniques de Sampiro, de Cardeña et Silense. Cette attaque se place au début de son règne, dans une période d’affrontements permanents contre les Maures.
       C’est au cours d’un raid, d’une razzia destinée à affaiblir l’ennemi et à rafler du butin, sans chercher à occuper les places tombées entre les mains des chrétiens, qu’en 932 le roi de Léon prend Madrid. La forteresse madrilène était peut-être commandée par Abd Allah ibn Muhammad ibn Ubayd Allah qui l’avait reçue vers 929. Assiégée par une puissante armée, la place résiste d’autant plus facilement que de longs tunnels reliaient l’Alcazar à l’extérieur et permettaient aux assiégés de recevoir des approvisionnements et des renforts. Alors que Ramiro II s’inquiète de la durée du siège, qui le mettrait à la merci d’une contre-attaque des Maures, les Chrétiens réussissent à percer les murailles le dimanche des Rameaux et pénètrent dans la forteresse, massacrant la garnison et faisant de nombreux prisonniers. Pour Ramiro II, la prise de Madrid pouvait peut-être ouvrir la route du Royaume de Tolède et en permettre la conquête, mais rien n’est moins sûr. Le temps était encore aux raids rapides et sans lendemains. La forteresse est d’ailleurs démantelée et les forces chrétiennes foncent vers Talavera, à plus de 100 km au sud-ouest, qu’elles prennent. D’ailleurs, la réaction du Calife de Cordoue Abd al Rahmman III est implacable. Il envoie des troupes sur le Duero et livra à Ramiro II l’indécise bataille d’Osma, indécise puisque les deux camps l’ont considérée comme une victoire.




     En 1047, Fernando Ier le Grand (el Magno), roi de Castille et de Léon (1037 – 1065), qui donne une nouvelle impulsion à la Reconquista, franchit la barrière montagneuse au nord, assiège peut-être (les avis sont partagés) et prend Madrid… à moins qu’Al-Ma’mun, roi de la taifa de Tolède, n’ait accepté de devenir son vassal pour sauvegarder la forteresse. En tout cas, les chrétiens qui y résidaient étaient, semble-t-il, trop peu nombreux pour défendre la ville en cas d’annexion, d’autant plus que le Royaume de Tolède était plus proche que celui de Léon.

Madrid, ville chrétienne depuis 1083
            En tout cas, la place est-elle tombée aux mains du roi de Castille Alfonse VI avant la prise de Tolède en 1083 – depuis la chute du Califat de Cordoue, Madrid appartenait au royaume de taifa de Tolède – comme prélude à la chute de l’ancienne capitale wisigothe, ou après comme conséquence de celle-ci ? Nul ne le sait : la prise de Madrid n’a pas laissé de traces dans les annales historiques. Le retentissement de la chute de Tolède a éclipsé la conquête de cette importante forteresse, qui surveillait le Manzanares et verrouillait l’une des routes du sud depuis Ségovie et la Castille à travers la Sierra de Guadarrama vers Tolède et Al-Andalus. Elle servait aussi de “ribat, c’est-à-dire de point de concentration des troupes et de départ des campagnes contre les royaumes chrétiens du nord. En 977, par exemple, Almanzor commence sa campagne à Madrid. De toute façon, la question a certes fait couler beaucoup d’encre depuis des siècles, mais sans résultat.


Madrid, une forteresse ou une ville ?

Que la ville soit ceinte de murailles est confirmé par plusieurs auteurs : l'historien arabe du IXe siècle Ar-Razí le signale déjà, comme les  « Crónicas del Silense » de 927 et celles d’Alfonse VII de 1110 ou deux textes inédits du « Liber privilegiorum ecclesie Toletane », le premier du 13 février 1095.
Au Xe siècle, le Calife de Cordoue Abd al Rahmman III - Abderramán III - fit renforcer ces murailles faces aux incursions chrétiennes comme celle du roi de Léon Ramiro II en 932. Les murs étaient construits en pierres de taille de silex et calcaires avec des tours carrées dotées de créneaux, de passages et d’escarpes. De cette muraille arabe ne restent que quelques vestiges dans le Parque de Mohammed I : le morceau de murailles y fait 120 m de long, 8 m de haut et 2 m de large. On y distingue une poterne et on voit les traces de 6 tours, dont quatre sont encore en place.


     Cette enceinte fortifiée de 500 m du nord au sud pour 200 mètres environ d’est en ouest était séparée par des murailles en trois ensembles : l’alcazar au nord, le Campo del Rey au centre et la medina – la ville - au sud. Néanmoins, les fouilles récentes entre le Palais Royal et la Cathédrale de la Almudena (la forteresse), ont montré que la muraille et la forteresse n’étaient pas reliées par un mur, l’alcazar étant à l’extérieur. On y a d’ailleurs trouvé des restes de maisons musulmanes d’environ 90 m2 avec sous-sol, rez-de-chaussée avec puits et étage.



 Aujourd’hui les spécialistes s’affrontent encore pour savoir si le Madrid musulman était davantage une forteresse qu’une ville où prédominait la population civile, même si au Xe siècle y vivait un savant comme Maslama-al-Mayrití, un des astronomes et mathématiciens les plus réputés de son temps. D’ailleurs, est-ce une fondation arabe ou une ancienne ville wisigothe ? La construction du nouvel alcazar puis celle du palais d’Orient ont effacé beaucoup de traces du passé et il est difficile d’y voir clair. Néanmoins, il y avait semble-t-il des faubourgs occupés par des civils au sud-est de l’enceinte vers les actuelles Cava Baja et Plaza de los Carros, comme le suggèrent les puits et les silos à céréales enterrés de l’époque musulmane.

Madrid, ville romaine ? Ville wisigothe ?

Du reste, on attribue à la période wisigothe les premiers vestiges d’une basilique de la période hispano-wisigothe vers l’église Santa María de la Almudena, ce qui pourrait démontrer l’existence d’un site urbain. Autres preuves archologiques de la présence antérieure à la domination musulmane d’une population stable à Madrid, les restes de deux nécropoles wisigothes, l’une dans l’ancienne colonie du Comte de Vallellano — paseo de Extremadura, près de la Casa de Campo — et l’autre à Tetuán de las Victorias. De même, le premier document écrit de Madrid, daté de 697, est de la période wisigothe : il s’agit de la pierre qui se trouvait dans le cloître de Santa María de la Almudena sans doute jusqu’au milieu du XIXe siècle et dont divers auteurs du XVIIe siècle ont repris le texte : “MIN BOKATVS . INDIGNVS . PRS IMO ET TERTIO REGNO DOMNO RVD MI REGVM . ERA . DCC .XXXV”

Récemment de nouveaux vestiges pré-romains (de la céramique carpétane) et wisigoths (enterrement) ont été trouvés autour du Palais Royal, ainsi qu’une grande nécropole wisigothe vers le Cerro Almodóvar, à Vicálvaro, au sud-est de Madrid.

L'alcazar, une forteresse arabe du IXe siècle




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La forteresse elle-même, le vieil alcazar arabe du IXe siècle – la Almudaina –, est connue grâce à un tableau de 1534 du peintre flamand Jan Cornelisz Vermeyen (1500 – 1559) intitulé Le Chasteau de Madrid. On peut en voir nettement une partie avec les deux imposantes tours carrées et le palais du gouverneur. Les tours sont identiques à celles de la gravure de 1562 par Anton Van den Wyngaerde. Cette première forteresse a été érigée par l’émir Muhammad I de Cordoue (852-886) sans doute entre 860 et 880.
En fait, les deux grosses tours, la Torre del Homenaje (Tour de l’Hommage) au centre – qui servait d’entrée principale à la forteresse – et la Torre del Bastimento à l’est ont été très remaniées par Henri III (1390-1406), le premier monarque à altérer la forme primitive de la place-forte musulmane. Modernisé quelques années après 1534, l’alcazar a disparu lors de la construction du Palais d’Orient.

Plus au sud, la ville arabe ou medina

Plus au sud, la ville arabe ou medina était elle aussi entourée de murailles. A ce sujet, il faut noter la confusion en France entre medina et casbah : cette dernière correspond à l’alcazar des Espagnols, la forteresse arabe, la ville étant la medina.  

Les Maures n’avaient pas permis aux Chrétiens vivant parmi eux ou mozárabes de résider à l’intérieur des remparts et ils étaient installés sur le « cerro de las Vistillas », une hauteur située de l’autre côté de l’arroyo de San Pedro (calle Segovia aujourd’hui), autour de l’église San Andrés.

La Morería (le quartier des Maures) garde dans son nom le souvenir de l’occupant maure d’avant la reconquête. Ce quartier fit partie de la médina madrilène et la Plaza de l'Alamillo rappelle peut-être l’ancien Tribunal Arabe de la Morería, de l'arabe alamud (tribunal), à moins qu’il ne s’agisse du nom des arbres plantés là, comme à Los Alamos, des peupliers.

Quand le roi Alphonse VI prit la ville, il fit repeupler le quartier par des Chrétiens.

 Trois portes permettaient d’en sortir:

- la porte de la Vega (la plaine ou la vallée fertiles), face au Manzanares, qui coule comme on l’a dit en  contrebas à 600 m vers l’ouest. Cette porte était étroite, sous une grosse tour, divisée en deux pièces, la première avec un trou au sommet de l’arc pour jeter un gros poids de fer sur un éventuel assaillant, la seconde, vers l’intérieur, avec deux escaliers, un de chaque côté pour monter sur la tour. Entre les deux pièces une herse de fer avec de gros clous pouvait être baissée.

- la porte de Santa Maria (Sainte-Marie) non loin de l’église du même nom à l’est, ouvrant sur la route d’Alcala de Henares.

-  la porte de la Sagra qui permet de pénétrer dans l’espace fortifié entre l’Alcazar et la medina, le Campo del Rey, où se trouvait l’église San Miguel de la Sagra ou Xagra.

Cette église romane devait ce surnom à la proximité des huertas ou xagra. San Miguel de la Sagra était une église en pierre avec une classique tour carrée de brique – un campanile –et une galerie extérieure avec des arches. On connaît son architecture et son plan grâce au tableau de Vermeyen déjà cité. Dans un coin du cadre on peut en effet observer une église proche de l’alcazar.

Elle est mentionnée dans le décompte des église de l’annexe au fuero de Madrid de 1202, mais des dix églises mentionnées, elle fut l’une des premières à disparaître. En effet, l’enceinte des Califes était adjacente à l’église, non loin de la porte de la Sagra, comme on l’à déjà précisé, et quand Charles Quint voulut reconstruire l’Alcazar, trouvant qu’elle se trouvait au milieu de l’entrée de la forteresse et qu’elle était en mauvais état, il demanda au pape la permission de la raser en 1544. Mais, le souverain pontife, dans son autorisation de 1548, émit de telles conditions qu’elle fut remplacée par San Miguel y San Gil, plus connue sous le nom de San Gil el Real où fut baptisé Philippe III, dessinée par Juan Gómez de Mora et détruite pendant la Guerre d’Indépendance.

En tout cas, l’église devait se situer non loin de l’actuelle Plaza de Oriente.





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